mercredi 6 mars 2013

Gauthier Aubert, Alain Croix et Michel Denis (dir.) Jean-Yves Veillard (iconographie), Histoire de Rennes, Rennes, PUR Apogée, 2010, 2e édition. préfaces d’Edmond Hervé (1re édition) et de Daniel Delaveau.

Le succès de cette Histoire de Rennes publiée pour la première fois voici cinq ans en coédition par les Presses Universitaires de Rennes et les éditions Apogée appelait cette nouvelle édition actualisée, car comme l’écrivait en 2006 Edmond Hervé̶ ̶ alors maire de Rennes ̶ dans sa préface, un tel livre « appelle toujours des compléments ». La préface que son successeur Daniel Delaveau donne à la seconde édition n’échappe pas aux clichés qui sont la loi du genre comme quoi l’histoire « ne peut être déconnectée du temps présent » et « sert à construire l’avenir ». Ne peut-on tout aussi bien avancer qu’il n’est pas envisageable de se représenter le passé sans faire l’effort de comprendre le présent ? Par contre, on ne peut que souscrire à l’affirmation selon laquelle « parmi tous les devoirs qu’une cité doit à sa population, l’accès à la connaissance est une priorité ».
Dans cette perspective, la dédicace de cette seconde édition à la mémoire d’André Chédeville et de Michel Denis s’imposait. Comme en témoignent leurs contributions à cet ouvrage, durant leurs carrières exemplaires et profondément enracinées dans le cadre universitaire rennais, ces deux historiens, décédés entretemps, se sont sans cesse préoccupés avec talent de faire connaître au plus large public les progrès de la recherche.
Comme le souligne toutefois ici Alain Croix, ce livre n’est pourtant pas « simplement » une « nouvelle » histoire de Rennes. L’iconographie sélectionnée par Jean-Yves Veillard dont les compétences en ce domaine ne sont plus à saluer constitue un « musée imaginaire » où les reproductions en partie inédites d’objets, de monuments, de documents d’archives, d’« œuvres d’art » (peintures, miniatures, et dessins) constituent autant de témoignages du passé rennais, sans négliger, bien entendu, les plans de la ville et les photographies anciennes. Paradoxalement, tandis qu’Alain Croix insiste à juste titre sur le fait que la pratique d’une « histoire citoyenne » passe aujourd’hui par le recours à ce « média parfaitement entré dans nos manières de nous cultiver », il choisit pour sa part de ne pas commenter, en contrepoint de son propos, le superbe travail photographique de Marc Rapilliard sur les couleurs de Rennes « qui est en soi un langage ».
Le défi du présent ouvrage, parfaitement relevé par des contributeurs appartenant à une génération d’historiens qui « ont appris à traiter l’image comme une source, à l’analyser comme une source historique », était donc de « donner un sens à ces images, de les mettre en contexte, d’en souligner les lacunes ». Tout l’enjeu de ce « dialogue entre le texte et l’image » est clairement mis en évidence par Luc Capdevila en introduction du chapitre consacré à la période 1939-1960 (« Des années sombres aux quartiers d’avenir ») qui voit la ville accéder au statut de capitale régionale : « le photographe s’inscrit dans un lieu, il sélectionne et laisse une trace. La photographie est autant récit et acte de mémoire que le sont une toile ou un texte ».
Pascal Ory  qui se charge d’actualiser le dernier chapitre (« Naissance d’une métropole ») intitule le paragraphe de conclusion « Vivre en intelligence » dans lequel il n’hésite pas à faire référence à des sujets qui fâchent tels que l’aéroport de Notre Dame des Landes (« prévu officiellement à l’horizon 2017 ») ou le projet controversé de réhabilitation en centre des congrès du couvent des Jacobins « dernier grand monument historique rennais resté sans affectation contemporaine ». La maquette numérique réalisée par l'architecte briochin Jean Guervilly est ici reproduite avec son clocher lumineux, futur repère visuel de la place Sainte-Anne appelé à donner à ce centre une « identité forte ».
Cette échappée vers le futur fait significativement écho à la plus ancienne vue chorographique de Rennes extraite du « Manuscrit de la Vilaine » (1543) selon une technique qui permet davantage d’accentuer « l’effet de réel » que de peindre « l’exacte réalité ». Dans le chapitre consacré à « La naissance d’une capitale (v. 1300- v. 1550), Daniel Pichot commente ce document exceptionnel destiné à une canalisation de la Vilaine. Il retient la volonté du peintre (Olivier Aulion ?) de faire ressortir l’idée d’« une agglomération puissante, d’une capitale », en mettant l’accent sur la muraille  et sur les « multiples clochers et tours à la hauteur exagérée » dont se hérisse l’ensemble « pour les besoins de la démonstration ». Le pastel anonyme (1784) qui donne son titre au chapitre dans lequel Georges Provost présente Rennes à la fin de l’Ancien Régime (« La montgolfière et les cent clochers ») pose d’emblée « le rapport de la ville avec une culture en mutation. Le lâcher de ballon n’est peut-être qu’une fantaisie du dessinateur pour renouveler le  genre de la perspective urbaine, vue du prieuré Saint-Cyr. Par contre, si depuis le milieu du XVIe siècle « les flèches gothiques ont cédé la place aux dômes, aux lanternons, voire aux bulbes d’ardoises », le quadrillage des clochers donne toujours à «la société rennaise ses repères et son cadre quotidien».
Tout au long de l’ouvrage, d’un auteur à l’autre, les nombreux plans successifs de la ville permettent de suivre la progression de l’urbanisation au cours des siècles. Le plan dit de Pierre Hévin (années 1680) qui fournit une lecture facile des trois enceintes emboitées attestant de l’accroissement de la ville peut ainsi être comparé (comme l’avait fait Pascal Ory en 1992 dans son livre mentionné plus haut) au projet utopique (1721) de Robelin, que commente Gauthier Aubert (« De la ville médiévale à la ville des Lumières »). Ce très « beau plan »,qui ambitionnait de construire à Rennes à la suite de l’incendie de 1710 « une cité idéale d’inspiration antique » n’a été que partiellement réalisé après l’éviction de l’ingénieur à l’initiative d’une municipalité qui le jugeait trop autoritaire et estimait ce projet trop coûteux.
L’urbanisation rapide de l’agglomération rennaise durant les dernières décennies du siècle passé a donné aux archéologues une occasion unique de faire parler son sous-sol. A cet égard, le percement du métro ou les fouilles de l’INRAP sur le site de la chapelle de la Visitation (2004) et, plus récemment, dans la cour du couvent des jacobins (2007) permettent à Jean-Claude Meuret d’évoquer le « paysage urbain » de la ville antique (« Les origines : du confluent à Condate »). Ici comme ailleurs en Gaule, c’est au IIIe siècle que le nom du peuple de la cité, Civitas Redonum, se substitue peu à peu à celui de Condate porté antérieurement par la ville chef-lieu. De cette époque conclut l’auteur de ce chapitre liminaire, on ne connaît pratiquement rien, hormis l’aspect militaire et ostentatoire ». C’est le début, ajoute-t-il, d’une longue période d’obscurité, « tant pour l’archéologie que pour les textes qui durera jusqu’à la fin du haut Moyen Âge ». André Chédeville (« De la cité à la ville (6e-13e siècles ») relève toutefois le défi de la carence documentaire pour cette époque. Afin d’éclairer les dark ages (pour reprendre cette formulation anglaise), l’historien parvient avec brio à tirer le meilleur parti de « l’imagination des artistes modernes ». Il choisit de suivre comme fil conducteur de ce chapitre l’une des fresques commandées par l’archevêque de Rennes Godefroy Brossays Saint-Marc au peintre Alphonse Le Hénaff (18821-1884) pour décorer sa cathédrale. L’œuvre qui figure sur fond d’or la procession des saints du diocèse de Rennes s’inspire ouvertement de l’Histoire de Bretagne d’Arthur de La Borderie. L’image est donc prétexte à un jubilatoire jeu de billard à deux bandes qui va d’une savante déconstruction du « bretonisme » de l’œuvre du grand historien romantique à la reconstruction du « puzzle incomplet » qui laisse l’historien entrevoir « de façon fugace » les « fonctions propres à l’activité urbaine, sans lui permettre de décrire la ville dans sa complexité, « comme un organisme cohérent et vivant ».
A l’issue de la guerre de succession de Bretagne (1341-1380), les ambitions princières transforment radicalement la situation de la cité « en l’appelant à un rôle nouveau dans un duché qui jouit d’une paix réelle et d’une prospérité indiscutable » (D. Pichot). A la suite de l’acte d’union de la Bretagne et de la France (1532), Rennes fait fonction de capitale provinciale depuis le milieu du XVIe siècle jusqu’à la Révolution. Gauthier Aubert (« Messieurs du Parlement ») analyse la place occupée par l’institution parlementaire « au cœur et au sommet de la ville » tandis que Jean Quéniart (« Vivre et travailler à Rennes sous l’Ancien Régime ») présente « une société au rythme de la vie politique ».  En 1788-1789 par les parlementaires et les étudiants rennais constituent l'« aile marchante de la Révolution » comme le rappelle ici Yann Lagadec (« Robinocrates, Sans-culottes et chouans ») qui présente Rennes comme « la principale île d’un archipel bleu en un océan blanc ». Rapidement, cependant, la capitale déchue de l’ancienne province de Bretagne qui a perdu plus de 25% de sa population en devenant chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine se remet de plusieurs années de sanglante guerre civile. Pendant un « très long XIXe siècle », Rennes semble se retirer de l’histoire. « En dehors du second procès Dreyfus qui lui est imposé de l’extérieur en 1899, il ne s’y déroule rien de notable » constate Michel Denis. Plus que la conscience d’habiter une « Provinciale assoupie » ajoute-t-il, une bonne partie de la population rennaise ressent plutôt une impression de « profonde misère » marquée par l’insalubrité et la mendicité. Cependant, le classement de Rennes par Hippolyte Taine (1865) parmi les villes « tombées ou laissées de côté par la civilisation qui se déplace », occulte le bien réel processus de « modernisation tranquille » que traverse la ville sur la longue durée. La transition entre « Tradition et progrès » (Pascal Burguin), selon la devise inscrite au fronton du Palais du commerce (reconverti aujourd’hui en Poste centrale), s’effectue « autant par recomposition des forces traditionnelles que par assimilation des innovations venues de l’extérieur ». Sans retard ni audace, ce « dynamisme discret » est sans doute une des clé du paradoxe rennais. Selon Pascal Ory, le secret de celui-ci, tiendrait dans sa jeunesse « d’abord démographique, puis économique et culturelle ». A l’horizon 2020, les démographes prévoient 500 000 habitants pour les trente-sept communes du Pays de Rennes qui forment l’agglomération actuelle de Rennes Métropole.
(Ex. d'un CR publié dans les ABPO, 2010).

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