vendredi 15 mars 2013

La Saint-Patrick,

« fête des Irlandais du monde entier » :

une tradition très moderne ?

J’ai eu l’occasion voici quelques temps de consacrer à ce saint un article à destination du grand  public (oblitéré, hélas, par quelques sous-titres malencontreux choisis par la rédaction de la revue). Je ne reviens pas sur les questions que pose sa biographie et je reprends seulement ici quelques notes relatives à la  "fête de la Saint-Patrick". Il est préférable de s’en tenir à la forme Patrice, démarquée du nom latin Patricius pour retracer la figure historique de cet évêque britto-romain du Ve siècle évangélisateur de l’Irlande. Mieux vaut réserver la forme anglo-américaine Patrick qui est la transcription purement phonétique du nom irlandais Pádraig pour évoquer les traits légendaires et folklorique de ce saint personnage.
La Réforme protestante du milieu du XVIe siècle et ses contrecoups en Irlande n’a pas véritablement porté pas atteinte au prestige de saint Patrick. La Church of Ireland (c’est à dire l'Eglise anglicane) dénonce bien sûr le culte des reliques et combat les pèlerinages en tant que "superstitions papistes". Mais saint Patrick demeure vénéré par les fidèles des deux religions concurrentes. C’est pourquoi, à la suite de l’adoption de l’Acte d’union (1800) qui crée le Royaume Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, la « croix de saint Patrick » (deux diagonales rouges sur fond blanc) est incorporée à l’Union Jack.
Montserrat (Caraibes): mascarade de la Saint-Patrick.
A partir du XVIIe siècle, l’émigration irlandaise vers le Nouveau Monde donne un prestige renouvelé à saint Patrick. Aujourd’hui encore, le 17 mars est, comme en Irlande, un jour férié sur l’île de Monserrat dans les Caraïbes. Les colons irlandais exilés sur cette île par Cromwell en  ont fait un refuge pour leurs compatriotes catholiques discriminés dans les autres colonies anglaises d’Amérique. De leur côté, persécutés, en tant que « Dissidents », par les Lois pénales au même titre que les catholiques, des presbytériens d’Ulster gagnent l’Amérique pour y refaire leur vie. Des marchands d’origine irlandaise fondent à Boston une Charitable Irish Society pour venir en aide aux nouveaux arrivants et improvisent le 17 mars 1737 la première parade de la Saint-Patrick. De tels défilés sont donc organisés par la suite dans de nombreuses villes des Etats-Unis avant de l’être en Irlande.
La Saint-Patrick à Boston (USA)?
Saint Patrick à Dublin (Irlande).
Tandis que la grande famine de 1845 condamne des centaines de milliers d’irlandais à l’exil à travers le monde, les mouvements nationalistes et la renaissance culturelle de la seconde moitié du XIXe siècle ne se privent pas d’enrôler saint Patrick sous leur bannière. Mais celui-ci remplit en même temps son rôle de médiateur entre les principales confessions religieuses qui s’en réclament également. Alors que l’Irlande était encore sous tutelle britannique, le député  irlandais James Ó Mara († 1948) fit adopter par le Parlement de Westminster, en 1903, le Bank Holiday (Ireland) Act qui fait du 17 mars un jour de congé. Dans les années 20, le jeune Etat Libre d’Irlande célèbre la fête nationale dans les rues de Dublin par des défilés militaires qui préfigurent de loin les parades à l’américaine ultérieures. Mais jusqu’au milieu des années 70, la Saint-Patrick reste  avant tout une fête religieuse (et les pubs sont fermés ce jour là !). Il faut attendre la dernière décennie du XXe siècle pour que le « Tigre celtique » utilise délibérément la Saint-Patrick comme moyen de promotion des valeurs irlandaises à travers le monde, dans les rues de Dublin, comme sur les boulevards de New York, Londres, et Sydney…
Durant le haut Moyen Âge, le culte de saint Patrick est bien attesté Bretagne continentale dès avant l’an Mil. Selon certains auteurs, c’est dans la péninsule (et non en Grande-Bretagne) que Patrice aurait débarqué après s’être enfui d’Irlande. Sans être invraisemblable, cette hypothèse reste à démontrer. Quoi qu’il en soit, au IXe siècle la Vie de saint Guénolé, patron de l’abbaye de Landévennec, s’inspire directement de celles de saint Patrick rédigées en Irlande. De même, l’abbaye Saint Gildas de Rhuys était censée détenir certaines de ses reliques avec celles de sainte Brigitte. Toutefois, au cours de la période suivante, alors même qu’une mode hagiographique prête souvent une origine irlandaise légendaire à d’authentiques saints bretons, on ne relève pas de dévotion spécifique à saint Patrick. L’installation d’immigrants irlandais dans la province aux XVIIe-XVIIIe siècles ne relance pas non plus particulièrement sa notoriété. Les pièces de théâtre en breton dont il est le héros (« Vie de saint Patrice » ; « Purgatoire de saint Patrice ») adaptent aux goûts du public populaire des XVIIIe-XIXe siècles des titres à succès de la littérature de colportage. Il faut attendre le XXe siècle et la redécouverte par la Bretagne de son cousinage avec l’Irlande (quitte à s’inventer de nouveaux liens de parenté) pour que saint Patrick soit remis à l’honneur.
La Saint-Patrick 2013 à Nantes...
Dans ce climat, la greffe de la Saint-Patrick avait tout pour prendre dans la région au cours des « années Breizh » alors que celle-ci redécouvrait ses liens avec les autres pays celtiques. Ce n’est donc pas un hasard si l’équipe qui a fait le succès du Festival Interceltique de Lorient s’est chargée, depuis une quinzaine d’années, de la promotion en France des « Nuits de la Saint Patrick » qui rassemblent la crème des groupes artistiques irlandais, bretons, écossais et asturiens. Après avoir rempli le Stade de France de 2002 à 2004, puis fait vibrer le Palais Omnisports de Paris-Bercy cinq années de suite jusqu’en 2010, la « Nuit de la Saint Patrick » a été rapatriée au « Parc des Expositions » de Rennes au cours du premier week-end d’avril 2011. La crise est aussi passée par là et il a fallu réduire la voilure. Ainsi, la Saint-Patrick donne lieu le 16 mars 2013 au Zénith de Nantes à une soirée de fête réunira des troupes irlandaises, bretonnes et écossaises. Comme les années précédentes, cette manifestation conviviale se distingue non seulement par les qualités musicales et chorégraphiques du spectacle, mais surtout par l'émotion et la joie de vivre partagées avec un public acquis d’avance.


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