jeudi 14 mars 2013

 L’enluminure et le sacré :

le roi en son royaume. 

Dominique Barbet-Massin, L’enluminure et le sacré. Irlande et Grande-Bretagne VIIe-VIIIe siècles, Paris, 2013.

 

Mme Dominique Barbet-Massin  a brillamment soutenu en juin 2010 devant l’ Université de Paris IV-Sorbonne  une thèse de doctorat intitulée Le roi en son royaume. Symbolique de l’enluminure insulaire (VIIe-VIIIe siècles), sous la direction du Prof. M. Rouche. Ce travail remanié vient de donner lieu à la publication le 27 février 2013 par les PU Paris-Sorbonne, sous le titre L’enluminure et le sacré, d’un « beau livre » qui est en même temps une passionnante somme d’érudition. Le compte-rendu que mérite cette étude paraîtra ailleurs en son temps. Ce « blog » se contente de réagir à chaud au plaisir intellectuel que procure sa lecture.
L'enluminure insulaire, d'origine irlandaise et anglo-saxonne, illustrant des évangiles des VIIe et VIIIe siècles, est caractérisée par des pages-tapis et des pages d'initiales aux ornements abstraits, d'origine celtes, germaniques ou méditerranéens et au programme chrétien, croix, évangélistes et leurs symboles. A partir de l'analyse des enluminures de six manuscrits, parmi ceux qu’il est convenu de désigner comme des « évangéliaires de luxe » (Livres de Durrow, Lindisfarne, Echternach, Lichfield, Kells et Saint-Gall) cette étude interroge les conceptions du monde de la civilisation insulaire préchrétienne et leurs évolutions dues à la christianisation.
L'enluminure est ainsi replacée dans le contexte du livre des Evangiles qu'elle illustre. On y retrouve tous les éléments que l'analyse des textes (chrétiens ou non) permet de déterminer : entrelacs des bordures qui clôturent les pages-tapis et qui forment le tissu de cette même page, entrelacs animaux se battant pour la conquête du nouveau monde de la foi chrétienne dominée par la croix. L’interprétation subtile de ce mode d’expression s'appuie sur la comparaison entre les civilisations européennes (mythes, traditions et techniques), ainsi que sur l'exégèse et la liturgie chrétiennes. L'espace  clos sacré, régi par le roi qui l'ordonne face au chaos, se définit par ses frontières, tissées en entrelacs, et délimitées selon une conception binaire et quaternaire du temps sacré. Cette conception issue l’époque pré-chrétienne s’est transmise  à l’époque chrétienne et se retrouve dans le programme d'enluminures des pages-tapis. Celles-ci exposent ainsi l'enseignement exégétique remontant au IVe siècle, qui met l'accent sur la royauté du Christ et sur les quatre évangélistes établissant l'Eglise universelle dans le monde.

Pièce (reconstituée) et plateau du jeu de brandubh. Stèle gravée de Ballyvourney.

De même, l'analyse liturgique des pages d'initiales traduisant la cérémonie baptismale de l'apertio aurium, qui remonte aussi à l'exégèse du IVe siècle.les met en relation avec les symboles des évangélistes établis aux points cardinaux. Le passage de l'une à l'autre conception est particulièrement marqué dans l'utilisation qui est faite du fidchell, le jeu de damier celtique christianisé dans le jeu de l'Alea Evangelii. L’assimilation de ces manuscrits précieux à des reliques « réelles » soulève la question de la précocité du  culte des reliques et sur sa portée  dans l’Irlande du haut Moyen Age. La place du cimetière dans la vie monastique (et ses relations avec la procédure du tellach [=usucapion]) trouve des parallèles dans l’hagiographie bretonne. tout comme le thème de la captation des arbres sacrés, par opposition au cliché récurrent de leur éradication (par des missionnaires musclés comme saint Martin ou saint Boniface). Il serait pourtant impropre, à mon avis, de parler de syncrétisme et l'auteur(e) n’en parle pas avec  raison. Il s’agit plutôt de recharger de sens tout un système d’expression selon un processus d’acculturation abouti.

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