mercredi 17 avril 2013

Rennes: le retour du Jeu de Paume.

Derrière la "Porte du Ciel", le "Pélican"!

A Rennes, le projet de réhabilitation en « Centre des congrès » du couvent des Jacobins dans le centre-ville historique entraîne de profonds réaménagements de tout le quartier situé autour de la place Sainte-Anne. Les travaux qui ont commencé en janvier 2013, rue Saint-Louis, pour ériger une maison de quartier ainsi qu’une crèche à la place de la chapelle de l’ancien hôpital militaire, aujourd’hui propriété de la ville, ont eu pour conséquence la redécouverte d’un jeu de paume que l’on pensait détruit depuis plus de trois siècles. Le bâtiment a été inscrit à l’Inventaire des monuments historiques.

« Et le jeu de paume n’est pas n’importe quel jeu. Ancêtre du tennis, c’est quasiment le premier sport moderne avec règles (imprimées), jargon, arbitres et ... paris d’argent. Premier sport à avoir son "champion du monde" (1740), il fut aussi un éphémère sport olympique en 1908 ».  Dans le numéro 21 (jan. 2013)  de la revue Place publique-Rennes, Gauthier Aubert, maître de conférences en histoire moderne à l’université Rennes 2, vient de consacrer un article intitulé « Rue Saint-Louis. Le jeu de paume perdu et retrouvé » à ce témoignage exceptionnel d’un « sport » qui a connu son heure de gloire entre le XVe et le XVIIIe siècle. Je remercie ce collègue de m'avoir autorisé à m'inspirer largement de son texte à destination de ce Blog.  
Le jeu de paume a d’abord été un jeu d’origine ecclésiastique. Ainsi, selon un document de 1415, le dimanche de Quasimodo, les chanoines du chapitre cathédral de Rennes se rendaient à l’église Saint-Etienne où le curé devait leur fournir trois pelotes chacun, tandis que le sous-chantre leur donnait des raquettes. Le curé lançait les pelotes aux chanoines qui devaient les renvoyer à coup de raquette. Ce divertissement de moines et de chanoines finit par sortir du cloître, victime de son succès et de la réglementation ecclésiastique. « Il devait cependant garder l’apparence de son lieu de naissance, écrit Jean-Michel Mehl, et en garder la nostalgie ». L’agencement des salles de jeux rappelle les cloîtres des chapitres cathédraux : murs très hauts dont les fenêtres sous la charpente évoquent les ouvertures des cathédrales gothiques ; galerie couverte analogue à celle du cloître qui court à la base de deux ou trois de ces murs et où vient prendre place le public. Dès le XVe siècle, selon des informations communiquées par Nicolas Cozic, il y aurait eu trois salles de jeux de paume à Rennes. Partout, les salles se multiplient aux siècles suivants.  Les érudits rennais n’ont découvert pour l’heure la trace que de cinq salles dans la ville, mais rien n’interdit de penser qu’il en a existé d’autres, sans oublier qu’on jouait à l’extérieur à la longue paume. Plus fréquemment à la fin du Moyen Âge, on rencontre l’appellation de « tripot », appliquée à la courte paume (c’est-à-dire la forme du jeu pratiquée dans un local couvert). Ce nom, promis à un bel avenir, dérive du verbe « triper » au sens premier de « bondir », qui en vient dès le XIVe siècle à désigner une « maison de jeu » ! Le Testament de François Villon se fait l’écho de cette réputation douteuse :
Des testamens qu'on dit le maistre
De mon faict n'aura quid ne quod;
Mais ce sera ung jeune prebstre,
Qui se nomme Colas Tacot.
Voulentiers beusse à son escot,
Et qu'il me coustast ma cornette!
S'il sceust jouer en ung trippot,
Il eust de moy le Trou Perrette.
Cela n’empêche pas les princes de s’adonner souvent avec passion à ce jeu. Ainsi, le dauphin, fils ainé du roi François Ier, couronné solennellement en 1532 duc de Bretagne sous le nom de François III dans la cathédrale de Rennes est décédé quatre ans plus tard d’une pleurésie consécutive à une partie de paume trop animée. C’est l’aristocratie qui codifie les règles de ce jeu, de plus en plus complexes à l’époque moderne. Elle va progressivement l’enfermer dans des locaux spécifiques dont l’aménagement a un coût. Ce besoin d’espace explique que les jeux de paume soient surtout construit dans les faubourgs et les nouveaux quartiers. L’existence à Rennes d’un jeu de paume très fréquenté, nommé le « Pélican », dans la rue Saint-Louis qui date des premières décennies du XVIIe siècle est mentionnée dans des archives des années 1680. Celles-ci précisent qu’il est construit « en bois et terrasse », pavé de tuiles et entouré de galeries, mesurant 92 pieds sur 31. D’après les registres du domaine contemporains, il y a même un autre jeu de paume en contrebas dans la rue Saint-Louis, et un autre encore, en face, entre la dite rue et la rue Saint-Michel.

En 1686, Palasne de la Ménardière, huissier au Parlement de Rennes et propriétaire du jeu de paume du « Pélican », vend celui-ci pour 6 000 livres à Charles Ferret seigneur du Tymeur, conseiller au Parlement, sans doute une des plus belles fortunes rennaises. Or celui-ci procède à cet achat pour le compte du séminaire des Eudistes créé en 1670 entre l’actuelle rue de Dinan et la rue d’Echange qui cherche à s’étendre. Il fut assez facile de convertir le local en chapelle. La nef fut flanquée de petites chapelles latérales et au Nord d’une sacristie assez importante, pour permettre, à l‘étage, deux chambres d’habitation, le tout couvert d’un petit dôme. De nos jours, on peut encore déchiffrer au dessus de la façade de l’édifice sur une tablette de marbre noir l’inscription datée de 1690 : Non est hic aliud nisi domus Dei et porta coeli ("Ce n’est rien moins que la Maison de Dieu. La porte du Ciel".). La date correspond aussi au résultat de l’étude de la société Dendrotech qui précise que la voûte lambrissée remonte aux alentours de 1689, époque de la transformation du local en chapelle. Quand la Révolution arrive, ce bien d’Eglise est saisi. La chapelle suit le destin de l’ancien séminaire et devient une annexe de l’hôpital militaire, plus tard nommé "Ambroise Paré". L’édifice sert de lingerie, de conciergerie et abrite des logements des religieuses qui gèrent l’hôpital à partir de 1858.
Contrairement à ce que l’on supposait jusque là, on n’a pas détruit le « Pélican » pour en faire la « Porte du Ciel », mais sans doute par mesure d’économies, on a récupéré la structure existante pour en faire une chapelle. Sous la conciergerie de l’hôpital militaire, sous la chapelle du séminaire, le jeu de paume du Pélican est donc toujours là, avec ses pans de bois et ses fondations d’origine. L’étude de la société Dendrotech atteste ainsi que la charpente et le pan de bois datent des toutes premières années du XVIIe siècle.
L’intérêt d’un tel bâtiment est d’autant plus marqué qu’il n’en subsiste que quelques uns en France. C’est un des rares témoins en l’état de toute une histoire encore assez largement en construction : celle des jeux et des sports. Dans le langage courant, bien des expressions imagées continuent de nous parler de l’importance de la paume depuis Moyen Âge : « l’échapper belle », « rendre la pareille », « se renvoyer la balle », « faire faux bond », « qui va à la chasse perd sa place », « jouer pour la galerie », « tomber à pic », « prendre l’avantage », « rester sur le carreau », « peloter », « tripoter », sans oublier le célèbre « jeu de mains, jeu de vilains », né quand les riches se mirent à jouer avec une raquette.

On ne peut que souscrire à la conclusion de Gauthier Aubert : « Parions que les élus qui ont la lourde responsabilité de dessiner l’avenir de ce lieu aussi peu banal que chargé d’histoire sauront "prendre la balle au bond" »

1 commentaire:

  1. Le jeu de paume est un sport vivant !

    Les Rennais ont le droit de connaître un jeu que pratiquaient en nombre leurs ancêtres.

    https://www.facebook.com/pages/Comit%C3%A9-Fran%C3%A7ais-de-Courte-Paume/588790181144435?ref=hl#!/pages/Comit%C3%A9-Fran%C3%A7ais-de-Courte-Paume/588790181144435

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