lundi 20 mai 2013

 

Un miracle de saint Yves.

La cueillette du goémon en Trégor.


La fête de saint Yves (19 mai) est l'occasion de relire quelques ouvrages de Jean-Christophe Cassard.  Cet historien qui vient brutalement de nous quitter savait exploiter avec talent les actes du Procès de canonisation de l'official de l'évêché de Tréguier. Voici quelques titres de livres. La bibliographie de ceux-ci orientera le lecteur vers des articles plus spécialisés, le cas échéant.

Jean-Christophe Cassard, Saint Yves de Tréguier. Un saint du XIIIe siècle, Paris, Beauchesne, 1992.

Jean-Christophe Cassard, Jacques Dervilly et Daniel Giraudon, Les Chemins de saint Yves, Morlaix, Skol Vreizh, 1994.

Jean-Christophe Cassard et Georges Provost (dir.), Saint Yves et les Bretons. Culte, image, mémoire, 1303-2003, Rennes, PUR, 2004.

Edités par A. de La Borderie, les témoignages recueillis en 1330 constituent des sources exceptionnelles sur la société Trégoroise à la fin du XIIIe siècle. Auparavant, la Société des Bollandistes en avait publié des morceaux choisis dans les Acta Sanctorum (Mai, IV). J'en retiens ce passage qui contient (d'après le Glossaire de Du Cange) la première attestation du terme "goémon". On en déduit que ces algues servaient déjà à amender les cultures littorales au début du XIVe siècle.

 
Voici la traduction française que propose de ce texte Jean-Paul Le Guillou, Saint Yves - Enquête de canonisation. Ceux qui l’ont connu témoignent. Ceux qu’il a guéris racontent Teck Impressions, Saint-Brieuc, 2e éd., 2003.
(Le traducteur a choisi de  faire parler le témoin au style direct, sous-entendant les questions, supprimant les redites. Il s'est ainsi fixé pour objectif de donner à ce long compte-rendu d'audience, non seulement des dimensions plus modestes, mais surtout un peu de vie, sans pour autant altérer si peu que ce soit le témoignage. Je rectifie toutefois quelques erreurs de lecture par rapport au texte latin ci-dessus).
 
TEMOIN 94: Alain André, de la paroisse de Trédarzec, âgé de trente ans ou environ...
« Je me trouvais un jour sur le bord de la rivière maritime, près du port de Roc'h Du à proximité de la cité de Tréguier, en compagnie de trois autres enfants et nous avions recueilli un tas de cette herbe marine qu'on appelle goémon. J'étais monté sur ce tas dans les eaux de la rivière pour le ramener chez mon père, comme on pilote les navires. Je l'avais pourtant déjà mené par l'eau sur la distance d'un jet de pierre, mais le tas se défit et s'éparpilla parmi les eaux. Je tombai donc de mon tas dans la mer, croyant pouvoir rejoindre la terre à pied, mais je n'y parvins pas, l'eau étant très profonde. ».
 
L'enfant est sauvé de la noyade  à la suite de l'invocation de saint Yves par ceux qui assistaient à l'accident. Le témoignage se poursuit:
 
[…] « Je ne savais pas nager, et je ne le sais pas non plus maintenant. Je me tenais debout sur le tas, comme on se tient debout sur un bateau. »

          http://tv-tregor.com/spip.php?article287. Le flottage du goémon (4 novembre 2006).
 



Pour une meilleure intelligence de cette scène, il convient sans doute de consulter en ligne le reportage intitulé "Une drôme au sillon" sur "TV Trégor.com", la TV locale du Trégor-Goelo:
 
 « La drôme est une technique de ramassage et de transport du goémon que les anciens utilisaient pour ramener leur récolte à la rive. Dans le Trégor, cette technique de flottage du goémon fut utilisée jusqu’au début des années 60. A l’époque, il fallait plusieurs équipes de goémoniers pour couper, transporter l’algue et confectionner la drôme. Si les petites drômes se faisaient dans la journée, il fallait parfois 4 à 6 jours de travail pour confectionner les grosses qui pouvaient atteindre 10 m de diamètre. »

Il est tentant de traduire carrément ici le latin globus par "drome" (outil de goémonier). La fiche Pleubian (22) du site de l'Inventaire des CdA confirme cette lecture.

« Description
La drome est un radeau de goémon flottant, utilisée pour le transport des goémons en mer. Elle mesure environ 5 mètres de diamètre et 1, 50 mètre de profondeur. La drome est confectionnée à partir des algues collectées et fauchées à pied pendant le temps de la 'berz' : la collecte communautaire du goémon de rive, pendant le temps de l'hiver. Les algues sélectionnées sont l'ascopylum nodosum (« vawac'h ») et le fucus visiculus (« colac'h »), goémons qui flottent facilement. Le tas de goémon prend forme au bout de plusieurs jours. Il est lesté en attendant de pouvoir flotter, afin d'éviter la dispersion des goémons recouverts par la marée. Une fois le tas constitué, de forme circulaire, celui-ci est lacé avec une rosace de cordes en chanvre. La drome est ensuite perchée par au moins deux hommes à l'aide de grandes perches plombées, selon un mouvement particulier. La drome peut être accompagnée ou tirée par un bateau. Le bateau pouvait tirer plusieurs dromes à la fois (radeaux de goémons).
Historique
La pratique de la drome est attestée depuis le 13ème siècle par un témoignage de saint Yves, qui sauva un enfant de la noyade, en rivière de Tréguier. La drome est utilisée pour le transport des goémons en mer jusqu'à une rive abordable. L'usage de la drome est commun aux littoraux de certaines régions et de certains pays, comme le « Pays des abers » (Plouguerneau), les côtes du Sud-Ouest de l'Irlande et la Galice espagnole. La pratique des dromes a aujourd'hui disparu en Bretagne.»

 


 



 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 


1 commentaire:

  1. Les Monuments originaux de l'histoire de saint Yves, publiés par A. de La Borderie, avec la collaboration de J. Daniel, R.P. Perquis et D. Tempier sont accessibles et téléchargeables en ligne à l'adresse :
    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k840878h

    Le passage concerné est accessible à l'adresse :
    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k840878h/f257.image

    Bernard a raison d'attirer l'attention des lecteurs de son blog sur l'intérêt de l'enquête sur la vie et les miracles d'Yves de Kermartin. Contrairement à Didier Lett, dont le remarquable travail sur le procès de canonisation de Nicolas de Tolentino a incontestablement renouvelé l’approche de ce type de source, mais au prix de l’adoption de certaines positions que l’on pourrait qualifier à l’occasion de néo-positivistes, je pense que ni le filtre imposé par le formulaire d’interrogatoire, ni le projet ‘idéologique’ qui fonde la procédure de canonisation certes « orchestrée et contrôlée par la papauté, l’institution la plus bureaucratique de l’Occident », n’empêchent absolument d’entendre ce que dit le témoin. Cependant, il est vrai que, pour extraire toute la substance de son témoignage, la lecture et l’interprétation de ce dernier doivent se montrer tout à la fois plus distanciées et plus empathiques.

    André-Yves Bourgès

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